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emporté par des dragons volants. Un obstacle matériel est peu de chose, si les
puissances sont favorables ; en revanche tout devient obstacle si l'on n'a pu
fléchir les puissances contraires. Cela ne représente point si mal la perspective
de nos épreuves et de nos malheurs. Le paysan ne se plaint point des racines,
lorsqu'il défriche ; c'est son bonheur de vaincre la terre ; le même homme perd
le sommeil pour un procès ; c'est qu'il ne voit point alors de passage ; les
puissances contraires arrêtent tout. Un chasseur ne se plaint point de ce que les
perdrix ont des ailes ; mais l'écriteau le met en colère. L'homme en ses actions
rencontre bientôt l'homme. Remarquez que le problème de l'existence maté-
rielle est résolu aisément par l'espèce ; faire des routes, défricher, cultiver,
transporter, échanger, ce n'est qu'un jeu ; nous en sommes à chercher les
difficultés. Quel besoin d'aller de Paris à Londres par la voie des airs ? Mais
c'est un bonheur d'y réussir.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 43
Seulement le roi des airs trouvera peut-être au logis une femme acariâtre,
ou obstinément muette ; ici commencent les difficultés véritables.
Le grand mal c'est la guerre, et la guerre vient toute des hommes. Avec
l'argent que la guerre nous a coûté, ou, pour parler mieux, avec les journées de
travail que la guerre a consumées et usera encore par ses ruines, que n'aurions-
nous pas fait ? Des parcs autour de nos écoles, des hôpitaux semblables à des
châteaux ; l'air pur, le lait crémeux, et la poule au pot pour tous ; tout cela
n'était qu'un jeu. Mais les refus, les défiances, les obstinations, les colères,
cela coûte si cher que les richesses du travail sont comme vaines entre nos
mains. Ce que représentent très bien les fictions populaires, aussi anciennes
que les hommes. La terre n'est pas grande devant le désir. Le prince Charmant
est déjà en route ; il arrivera, et même il reviendra, soyez tranquille ; et ce
voyage fini, quand il le contera. sera d'un court moment. Mais, comme il va
partir, le voilà fixé, au parquet de la chambre par le décret d'une vieille sor-
cière. Qui n'a pas été enchaîné, sans liens visibles, par le décret de quelqu'un ?
Décrets motivés communément, dans la vie réelle, mais par des raisons qui ne
sont jamais les vraies raisons. Les contes pénètrent jusqu'aux racines. Les
enchanteurs et les sorcières, personnes d'âge, s'opposent à tout ce qui est jeune
et beau. Presque toute la tyrannie en ce monde humain vient de gens qui
s'ennuient. Bref les hommes dépendent surtout des hommes. Le caprice d'un
tyran entraîne soudain les peuples en une suite de catastrophes. On a donc
raison de dire comme disent les contes, que l'immense industrie est bien facile
comparée à l'inextricable politique. Ce que les contes représentent à merveille
par des sorciers mécontents.
Je remarque encore autre chose, c'est que, selon ces frappantes peintures,
le merveilleux n'entre point dans les âmes. Il n'y a point, d'enchanteur qui
guérisse quelqu'un de l'envie ou de la haine. La sorcière peut bien enchaîner le
prince Charmant sans aucun lien visible, et même le changer en Oiseau Bleu ;
elle ne peut faire qu'il n'aime pas celle qu'il a choisie ; en Oiseau Bleu encore
il vient chanter à la fenêtre de la bien-aimée. Ce qui signifierait que l'esprit
n'est point de condition serve, et demeure bien au-dessus des puissances
même surnaturelles. Au reste il arrive presque toujours dans les contes qu'un
enchanteur contrarie l'autre, ce qui fait que l'amour courageux et la volonté
ferme passent à travers les passions incohérentes, et parviennent à leur fin.
Ainsi la fidélité est couronnée par le hasard ; et cela n'est pas sans portée, car
les forces, humaines ou cosmiques, ne poussent pas toutes dans le même sens,
et c'est ce qui fait qu'un brave cSur trouve enfin passage. Qui soutiendra que
les contes sont mauvais à lire, quand on peut voir que l'expérience réelle, si
bien fardée, dissimule aux yeux de ceux qu'elle prétend instruire justement ces
fortes et toniques vérités que j'aperçois dans les contes ?
10 septembre 1921.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 44
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XVIII
L'esprit des contes
2 janvier 1922.
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L'enfant s'éveille à penser dans un monde féerique. Non que tout y soit
facile ; tout y est difficile au contraire mais la difficulté n'y est pas écrite en
kilomètres, car le moindre succès dépend d'abord d'un certain nombre de
vieilles sorcières et d'enchanteurs barbus, qui arrêtent les explorations par un
non tout sec ; il faut même dire que l'enfant doit garder assez longtemps le
souvenir de ses premiers voyages, où il est porté sans avoir à faire effort. De
toute façon il ne lui est pas moins difficile de se transporter dans le jardin d'un
voisin que de toucher la lune. D'où cet esprit des contes, qui méprise les
distances et les obstacles matériels, mais aperçoit toujours, en travers du
moindre désir, un enchanteur qui dit non. Aussi quand quelque fée plus
puissante a dit oui, il n'y a plus de problème, et la distance entre le désir et
l'objet est franchie n'importe comment. Image fidèle de ce monde humain où
l'enfant doit vivre d'abord, porté et réchauffé dans le vivant tissu, de sa mère,
de sa nourrice et des puissances limitrophes. Le monde est composé de pro-
vinces en chacune desquelles quelqu'un règne ; cuisinière, jardinier, portier,
voisine sont des sorciers et sorcières dont les attributions sont réglées. Ainsi
Alain, Esquisses de l homme (1927) 45
nos souvenirs les plus anciens sont organisés mythologique ment ; c'est pour-
quoi les contes n'ont point vieilli ; l'enfance de l'individu est comme l'enfance
de l'espèce.
La maturité veut un long détour, et une solitude de l'observateur parmi les
choses. D'où l'on découvre d'abord que les choses ont leur manière de résister
qui est sans pensée ni intention aucune ; et qu'elles ne cèdent point du tout à la
prière ni au désir, mais seulement au travail. Alors se montre une autre liberté
qui n'est point courtisane, qui ne vit point de plaire. Alors le regard observa-
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